Historique et origines
Belleville était à l’origine un village des vignes et des eaux, situé en hauteur au nord-est de Paris. Dès le Moyen-Âge, des sources y jaillissaient, alimentant la capitale. Au 18ème siècle, le lieu devint une villégiature prisée des Parisiens aisés, qui y firent bâtir résidences secondaires et « folies ».
La révolution industrielle changea la physionomie des lieux. Attirés par le bon marché du terrain, des artisans, petits commerçants et ouvriers affluèrent. On exploitait aussi les carrières de gypse, dites « carrières d’Amérique », ultimes vestiges visibles au nord du quartier. En 1860, Belleville fut rattachée à la capitale par le baron Haussmann. La population locale, majoritairement populaire et ouvrière, prit une part active à la Commune de Paris en 1871.
Vagues migratoires successives
Dès avant 1914, le quartier devint un lieu d’accueil pour différentes vagues de migrants, faisant de Belleville l’un des premiers quartiers cosmopolites de Paris. Juifs d’Europe centrale fuyant les pogroms, Arméniens rescapés du génocide, Polonais, Grecs… Tous trouvèrent à Belleville du travail, des logements, des lieux de culte et de sociabilité communautaire.
Dans l’entre-deux-guerres, une forte communauté juive ashkénaze investit le quartier, lui donnant parfois des airs de « Pletzl » à la parisienne. Synagogues, commerces, restaurants casher, écoles talmudiques… Une effervescence que la Shoah balaya.
Après 1945, de nouvelles vagues migratoires modelèrent la population bellevilloise. Maghrébins et Africains subsahariens, Antillais, Chinois… Tous trouvèrent à Belleville un quartier populaire où s’établir. Signe de cet héritage cosmopolite, le métro Belleville a récemment été rebaptisé « Belleville-Commune de Paris 1871 ».
Urbanisme et architecture
L’urbanisme du quartier reflète les bouleversements qu’il a traversés. Aux alentours du parc, de belles demeures cossues rappellent l’époque des « folies ». Plus bas, le patchwork serré de petites rues, venelles et arrière-cours témoigne de la densification à marche forcée du bâti au 19ème siècle. Quant aux barres et aux tours, elles symbolisent les rénovations brutales d’après-guerre.
Malgré les altérations, Belleville conserve un charme désuet, entre petits ateliers d’artisans, passages pittoresques et successions de jardinets. Des trésors d’architecture subsistent aussi, tel le très beau regard Saint-Martin, vestige des aqueducs alimentant Paris en eaux vives. Au détour d’une venelle, on tombe parfois sur une cour artistique abritant ateliers d’artistes et petits commerces, comme la Villa Belleville ou le passage de la Main d’Or.
Politique et luttes sociales
Terre d’accueil, Belleville fut aussi un haut lieu des luttes politiques et sociales, de la Révolution française aux mouvements ouvriers du 20ème siècle. La Bellevilloise, coopérative emblématique, ou le local de la CGT rue Julien Lacroix, rappellent cet engagement qui perdure. Ainsi, la Primaire citoyenne de 2017, tentative avortée d’union de la gauche aux législatives, fut lancée à la Bellevilloise.
Reste que le quartier vote majoritairement à gauche. Lors des municipales de 2014, Belleville a largement contribué à faire basculer Paris dans le camp socialiste, reconduisant Anne Hidalgo à la mairie. Signe de cet ancrage politique, le métro a été rebaptisé « Belleville-Commune de Paris 1871 ».
Une mosaïque multiculturelle
Avec ses 200 nationalités représentées, Belleville est un des quartiers les plus cosmopolites de Paris. Un microcosme concentrant en quelques rues une diversité qu’on ne retrouve guère ailleurs. Commerce, langues, habits, visages… Tout porte la marque de ce melting-pot.
Certains parlent de Belleville comme d’un « laboratoire de la diversité ». Le modèle d’intégration républicaine y fonctionnerait à plein, favorisant le « vivre-ensemble ». Un mythe tenace, mais de plus en plus battu en brèche. Car derrière la carte postale, des tensions sourdent et le quartier se fragmente.
Communautés repliées sur elles-mêmes, montée des intégrismes, trafics en tous genres prospérant sur la misère sociale… Belleville n’échappe pas aux maux rongeant les banlieues. Son modèle multiculturel semble montrer ses limites. Signe qui n’augure rien de bon, les enfants de migrants se revendiquent avant tout de leurs origines. Quant aux Français « de souche », ils désertent un quartier de moins en moins mixte socialement.
Tradition commerciale
Depuis toujours, Belleville rime avec commerce. Au début du 20ème siècle, le quartier abritait des centaines de petits ateliers textiles juifs, aujourd’hui disparus. Aujourd’hui, le commerce bellevillois reflète les cultures qui façonnent le quartier.
Épiceries latino, boucheries halal, salons de coiffure afro, restaurants chinois… On trouve à Belleville mille saveurs venues du monde entier. Sans oublier le fameux marché, où Maraîchers du Val-de-Loire et forains tunisiens font se côtoyer primeurs, épices et babouches. Ni le street food festival, qui chaque année en septembre fait la part belle aux cuisines métissées.
Mais ce commerce bigarré est lui-même sous pression. D’un côté, la concurrence féroce des grandes surfaces asiatiques, qui grignotent des parts de marché. De l’autre, l’arrivée des « bobos » et des franchises, signes de l’embourgeoisement rampant du quartier.
Vie nocturne et culture underground
Haut lieu de l’underground parisien, Belleville vit la nuit. Bars branchés, squats d’artistes, boîtes rock ou électro… La scène alternative bellevilloise s’anime une fois le soleil couché. Sans oublier les nombreux tags et graffitis, qui font la réputation du quartier en matière de street art.
Mais la face sombre de la nuit bellevilloise, ce sont aussi les trafics en tous genres qui prospèrent dans l’ombre. Prostitution chinoise, revente de cigarettes, deal de cannabis et de cocaïne… Misère sociale et délinquance font ici bon ménage.
Pour autant, même la nuit, Belleville reste un quartier vivant et créatif, à l’image de ses habitants bricoleurs et débrouillards. Chiner sur un vide-grenier nocturne, siroter une bière artisanale à la Bellevilloise, admirer les graffs sous les néons… Autant d’expériences inédites dans un Paris qui dort.
Enjeux et défis
Plusieurs défis se posent à Belleville pour les années à venir :
- Endiguer l’embourgeoisement et le départ des classes populaires, afin de préserver la mixité sociale du quartier
- Lutter contre le communautarisme et le repli identitaire, pour retrouver un véritable « vivre-ensemble »
- venir en aide aux populations fragiles (SDF, migrants, travailleuses du sexe…)
- préserver le commerce de proximité et l’artisanat local, garants de la vitalité du quartier
- promouvoir la culture alternative bellevilloise, symbole de sa modernité
Si le défi est de taille, gageons que l’esprit de résistance et de solidarité qui anime Belleville et ses habitants leur permettra de le relever.
Conclusion
En dépit des difficultés, Belleville demeure l’un des quartiers populaires les plus attachants de Paris. Par son histoire mouvementée, sa sociologie bigarrée, son effervescence créative… Rien ne vaut une balade à Belleville pour prendre le pouls de la capitale. Arpenter les ruelles à l’affût du Paris d’autrefois, goûter aux caresses d’un thé à la menthe sur une terrasse tunisienne, s’encanailler dans un bar rock ou un club underground… Autant d’expériences uniques qu’on ne vit nulle part ailleurs.
Alors oui, Belleville n’est pas parfait. Son modèle social et culturel est cassé par endroits, ses plaies sont profondes. Pour autant, le quartier n’a rien perdu de sa superbe. Cette allure rebelle et fière témoigne d’un passé tumultueux où se mêlent luttes et conquêtes sociales. Belleville porte en elle toute l’âme de Paris, capitale mondiale de la révolte et de l’émancipation.